La montagne de Madame Penh

Après la (re)découverte de cette civilisation khmère triomphante puis décadente à Angkor, direction la capitale où je me suis rendue pour la dernière fois il y a 18 années. On m’en a beaucoup parlé et on ne m’en a pas dit que du bien. Ah Phnom Penh , y’a pas grand chose à voir. Phnom Penh, restez y un jour max! Visitez le musée s21 sur les khmers rouges et passez votre chemin. Eh bien , je ne suis pas du tout d’accord avec ce constat. Je trouve que cette ville comme le reste du pays mérite que l’on s’y attarde si l’on souhaite découvrir les joyaux de la culture khmère. Et je suis parfaitement objective 🙂 

En arrivant, j’ai été abasourdie en découvrant que des  routes goudronnées de qualité avaient remplacées les routes de terre rouge poussiéreuses que je connaissais , des immeubles rivalisant avec les gratte-ciels bangkokiens et à profusion se construisant de façon chaotique se tenaient ici et là à la place de ces bâtisses coloniales françaises au charme désuet de la douce Indochine. Ces yeux sombres, profonds, meurtris et sans espoir dont je me rappellerai à jamais ont évolué vers des yeux pleins d’envie, de dollars, d’immédiateté . Les cyclopousses ont disparu au profit de milliers de voitures colossales et clinquantes qui en apparence m’ont permis de croire à un enrichissement de ce beau pays qui vit en moi. Étant donné le trafic tourmenté que nous connaissons que trop bien en tant que parisien, il aurait d’ailleurs été plus judicieux d’investir dans des smart pour ces riches familles qui ne recherchent que des signes ostentatoires de leur richesse pour la plupart fulgurante. Ces maisons mastoc, dorées, barricadées en font aussi malheureusement partie.  La plupart des gens sont bien habillés , porte la chaussure et ont l’air de s’y sentir confortablement installés. Je me rappelle de personnes nues pieds en souillons arpentant les rues et de ces fameux enfants de Stung Mean Chey dont le ventre est déformé par la sous nutrition écumant ce tas d’immondices toute la journée afin de rapporter quelques sous à leurs parents. Maintenant , à cet endroit même, j’ai retrouvé environ 6000 enfants étudiants, apprenant un métier, l’hygiène , réfléchissant par eux mêmes, heureux épanouis, pleins d’espoir  grâce à l’œuvre des de Pallières chez qui j’ai eu la chance de séjourner  pendant un mois en contribuant au camps de vacances des enfants , rituel qui est resté depuis.

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Mon cœur est rempli de bonheur et je ne peux que conseiller à ceux qui ne l’ont pas encore fait de découvrir ce documentaire très inspirant “Les pépites” .

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Malgré tout, une petite question revient en boucle: mais pourquoi n’est ce pas le gouvernement qui permette à cette jeunesse de se former gratuitement ? Là est tout le problème. Le gouvernement n’offre l’école gratuite que depuis très récemment et les professeurs rackettent leurs élèves afin de survivre avec un salaire de 100 dollars par mois.  On laisse mourir le malade sans sous à l’hôpital . La corruption est omni- présente: gouvernement , business , ONG , tout le monde y passe. Nous croisons la propagande à tous les coins de rue. On ne parle pas politique ou on le chuchote. Mais grâce à  internet et à Facebook le pays connaît actuellement un sursaut et l’ignorance petit a petit fait place à la prise de conscience. La pauvreté du pays a changé de visage et un développement indéniable s’y est opéré. Le téléphone et internet sont présents même dans les villages les plus reculés. Je suis heureuse de constater cela car internet c’est aussi la liberté. 

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On ne peut pas oublier que c’est un pays qui se relève de ses cendres après avoir exterminé tous ses médecins, professeurs , artistes, intellectuels … plus de 20 % de la population a disparu sous le régime de Pol Pot. 

Comme de vrais phnompenhois, nous  nous échappons  à Kampot le temps d’un week end avec nos chers cousins Jessica et Benjamin qui habitent Phnom Penh depuis un an et qui parlent déjà mieux le khmer que moi. Shame on me mais il faut avouer qu’ils sont forts ! Nous nous délassons au bord de la mangrove sous un manguier où nous dégustons de délicieux mets avec le poivre extra fin de Kampot mondialement reconnu par le milieu gastronome. Nous décidons d’aller visiter le parc national de Bokor où nous voyagerons en Irlande,

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dans les années folles en visitant le bel hôtel colonial français laissé à l’abandon où nous avons imaginé Ming,  notre grand-mère venue visiter le Cambodge en colon .

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C’est là où mes origines se mêlent. C’est étrange. Je me sens française et j’ai tendance à oublier mes origines khmères mais à l’instant où je foule ce sol, je suis bien cambodgienne aussi. Je ressens et vis tous ces codes depuis toujours. Le poisson séché très odorant (prahoc) , le fameux fruit interdit dans les hôtels : le durian pour lequel j’ai une passion, les marques d’oralité bien spécifiques, l’humour pipi caca , le rire permanent, le pincement sadique des enfants dans la rue (surtout les petits gros)  …. soudain je ne suis plus la folle du coin mais simplement eurasienne. 

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De retour à PP , nous filons rencontrer notre famille à Kambol, petit village dans le canton de Kandal. Je ne suis  pas peu fière de me présenter en tant que petite fille de Loch ta Keo, fils de paysan comme la plupart de la famille et notable du village car il faisait tout de même partie de l’assemblée nationale. Une belle ascension sociale et un mariage réussi avec ma grand mère venant d’une famille bourgeoise d’origine chinoise. Ce sera des  présentations/ retrouvailles émouvantes et étranges à la fois.

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Le même sang coule dans nos veines et nous avons pourtant des vies et une façon de voir le monde de façon si différente. Mon oncle, Om Sok, frère de maman, que j’ai connu sous mon œil occidental  tenait tellement à ce que ses cendres reposent dans cette belle pagode du village familial. Nous irons le saluer, nous y recueillir . Il a été adopté par un pays dont il connaissait si  bien les contours, les subtilités que je l’ai cru français . Son cœur n’a pourtant jamais quitté le Cambodge. Il aura d’ailleurs œuvré toute sa vie pour un Cambodge meilleur. Qu’en est il de ma maman? Au fond je pense que c’est pareil . 

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On ne peut pas parler de Cambodge sans parler de son art et de ses traditions. Ce petit pays dont la terre est très fertile et qui regorge de pierres précieuse a depuis tout temps été l’objet de convoitise de ses voisins. Ils l’ont grignoté, l’envahisse aujourd’hui mais le Cambodge résiste et ce, grâce à  sa tradition forte et son art. Il regorge de musiciens hors pairs mais aussi de danseurs de danse classique fabuleux  ( sbak), de comédiens de théâtre d’ombre….Ceux qui ont réussi à le cacher lors du génocide et qui ont survécu ont été rassemblés par une formidable ONG créée à l’initiative d’un khmer réfugié aux États Unis, Cambodian Living Arts afin de perpétrer cette connaissance si précieuse qui constitue en grande partie l’identité du pays. Nous avons assisté à ce splendide spectacle au sein du musée national de Phnom Penh , bâtisse conçue par les français en 1917 mais  gardant l’influence asiatique. Une belle réalisation. Un spectacle immanquable . 

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Nous sommes allés confectionner des marionnettes d’ombre en cuir de qualité que les enfants ont gaiement percé avec les outils adéquats pour enfin aller admirer le spectacle qui était cependant assez décevant. Je m’attendais à ce qu’ils dépeignent l’histoire de Rama mais il s’agissait de théâtre de Boulevard qui n’a même pas réussi à décrocher un sourire sur le visage des cambodgiens qui ont pourtant le rire facile. Mais l’endroit est charmant et ne serait-ce que pour les objets artisanaux ancestraux, le déplacement en valait la chandelle. 

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La visite du musée national qui regorge de pièces à couper le souffle a aussi été une belle rencontre . Socheat, jeune cambodgien de 35 ans , bras droit du conservateur nous fera une visite guidée en nous éclairant de tout son savoir . Merveilleux. Cet échange avec ce féru d’art khmer, amoureux de son pays, issu d’une famille de paysan a tellement été énergisant . Une belle ascension sociale.

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Nous rencontrons Om Soreun, un cousin de maman. Il est fondateur et formateur de l’association CKN depuis 20 ans. Cet homme est remarquable et très touchant. Après avoir fait Supelec, il s’est marié à une française et a été professeur de génie électrique, d’électronique, de mécanique à l’université de Montpellier pendant plus de 40 ans. Une fois à la retraite , il décide d’œuvrer pour son pays, sa patrie. A l’époque il y aura finalement vécu moins longtemps qu’en France. C’est là où l’on se rend compte du pouvoir de la patrie . Son objectif est de former environ 600 jeunes cambodgiens par an aux métiers techniques. Il s’amuse à me dire que son école est “polytechnique”. Mais au delà du savoir, il leur apprend l’entreprise au sens entreprenariat , la débrouillardise,  l’envie , le labeur . Ils sont en internat et doivent pleinement s’auto-gérer. Ils installent le système de panneaux solaires , construisent leurs habitats et classes , construisent des prototypes pour sécher le poisson, pour sécher le poivre , les vendent aux entreprises . Om Soroeun y a mis tout son coeur et toutes ses économies personnelles. Bref , vous l’aurez compris sa formation est de très grande qualité et rare. Ses étudiants remportent le concours technique Asean tous les ans depuis plus de 6 ans . Le malheur dans tout celà est que le gouvernement ne soutient en aucun cas ces initiatives. Pire , elles viennent concurrencer leurs écoles corrompues dont le niveau est lamentable . Du coup les écoles privées en bois pullulent dans le pays et ont beaucoup de succès. Les chinois s’en régalent. Malgré cela , Om Soreun reste positif en m’expliquant qu’il commence à voir les effets de ses actions avec de belles réussites qui reviennent à l’école pour aider et inspirer ces jeunes vers un dur labeur mais qui fera la force du pays . 

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Nous retrouvons les de Pelet que nous avions croisé à Auckland en Nouvelle Zélande. Quelle chance avions nous de faire un long voyage en famille en même temps et sur le même parcours qu’un collègue d’Errol de la BNP? Et c’est parti mon kiki pour le Mondolkiri! 

Sinoun

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